L’agriculture et le pastoralisme
Bien que les Bardenas Reales n’appartiennent à aucune commune de la région (cette terre est la propriété de l’état espagnol), pas moins de dix-neuf municipalités navarraises ainsi que deux vallées pyrénéennes y possèdent des droits d’exploitation agricole et/ou pastorale.
Très anciens, ces privilèges concernent les villages de Cortès, Buñuel, Fustiñana, Cabanillas, Tudela, Corella, Arguedas, Valtierra, Cadreita, Milagro, Villafranca, Funes, Peralta, Marcilla, Falces, Caparroso, Melida, Santacara, Carcastillo et les vallées pyrénéennes de Roncal et de Salazar.
Les vallées de Roncal et de Salazar sont les seules localités étrangères à la Ribera (zone sud de la Navarre) à pouvoir user du droit de pâture dans les Bardenas Reales.
La distribution des droits d’exploitation (agriculture, pâturages, coupe de bois, chasse) a été réalisée entre les IXe et XVIIe siècles pour services rendus à la Couronne de Navarre en temps de guerre et pour repeupler certains villages désertés après l’expulsion des musulmans du pays.
Tous les villages navarrais frontaliers aux Bardenas jouissent donc de ces privilèges ancestraux, tous excepté le petit village de Rada (au nord d’el Plano).
Rada est ce que l’on appelle un « village nouveau », un village de colonisation agricole né des grands travaux d'irrigation de la vallée de l'Ebre au cours des années 1950/1960. N'ayant eu aucune influence historique dans la région, le village ne peut donc pas prétendre aux droits d’exploitation des Bardenas.
Côté Aragon, les villages proches des Bardenas ne bénéficient eux aussi d'aucun droit d’exploitation car rappelons-le, les Bardenas se situent en Navarre.
- L’agriculture -
L’exploitation agricole des terres intérieures des Bardenas est assez récente. Les premiers champs cultivés apparaissent au début du XIXe siècle, il s’agit pour les paysans d’un pari plutôt hasardeux qui se solde souvent par l’échec en raison de la pauvreté des sols et des pénuries d’eau.
Ce n’est qu’au cours du XXe siècle que l'agriculture connaît un essor spectaculaire grâce à des techniques agricoles toujours plus performantes et innovatrices. Ainsi, sur les 42 000 hectares du territoire, les cultures occupent 4 200 hectares en 1900, 18 000 hectares en 1950 et près de 23 000 hectares aujourd’hui. La conquête de ces terres réputées autrefois incultivables permet donc d'exploiter un peu plus de la moitié de la superficie des Bardenas Reales.
En raison de la rareté des pluies et de la quasi absence de canaux d’irrigation, ce sont les cultures sèches qui sont privilégiées. Les céréales (orge et maïs) constituent près de 97 % des cultures locales, les 3 % restant sont représentés par quelques champs d’asperges et d’amandiers ainsi que de rarissimes rangs de vignes.
Les terres irriguées n’occupent qu’une très faible superficie et se situent uniquement dans les secteurs de l’Agua Salada et de la Landazuria (el Plano).
Les rendements varient considérablement selon les secteurs et les années. El Plano et la Plana de la Negra sont par exemple les terres les plus productives des Bardenas Reales et cela quel que soit le climat de l’année. Par contre, les autres zones telles que la Blanca ou le nord de la Negra sont peu adaptées à l’agriculture en raison de la pauvreté et de la salinité des sols, seules les années pluvieuses permettent ici d’atteindre un rendement acceptable.
Arguedas, important village agricole de la région possède à lui seul 4 700 hectares de cultures dans les Bardenas ; viennent ensuite Fustiñana, Carcastillo, Cabanillas et Caparroso qui disposent pour chacun de 2 000 et 3 000 hectares. Les autres villages possèdent moins de 2 000 hectares. Bizarrement, la ville de Tudela, qui est pourtant la ville la plus importante de la Ribera, ne bénéficie que de 127 hectares.
Quelques rares localités comme Corella, Roncal ou Salazar n’ont aucun droit d’exploitation agricole dans les Bardenas Reales mais conservent cependant leurs droits de pâture.
- Le pastoralisme -
Datant de plus d’un millénaire, le pastoralisme rassemblait autrefois un très grand nombre de troupeaux ovins. On estime que près de 500 000 brebis prenaient chaque année les chemins de transhumance pour les Bardenas durant le Moyen-Âge.
Ce cheptel impressionnant connut un déclin sensible au cours du XIXe siècle en passant à 300 000 têtes. A cette époque le pastoralisme s’étendait sur les 9/10 du désert.
De nos jours, la transhumance rassemble chaque année un peu moins de 100 000 bêtes et les pâturages n'occupent que les 4/10 des terres. 75 % du bétail provient de La Ribera (sud de la Navarre), les 25 % restants sont originaires des vallées pyrénéennes de Roncal et de Salazar.
Le plus gros des troupeaux fréquente les Bardenas de septembre à avril. Les bergers et leurs brebis s’y rendent en empruntant les cañadas, ces fameux chemins de transhumance qui relient les Bardenas aux différentes communes navarraises bénéficiant du droit de pâture.
Les Cañadas de Roncal et de Salazar sont les voies de transhumance les plus importantes et les plus anciennes de la région. Chaque année, près de 25 000 bêtes quittent les estives de haute montagne pour se rendre dans les basses terres des Bardenas. Bien que la majeure partie du bétail soit transportée par camion, quelques centaines de bêtes continuent à transiter par les cañadas permettant ainsi à cette tradition ancestrale de perdurer.
La cañada de Roncal, ou cañada Real de los Roncaleses (Chemin Royal des Roncalais), débute à proximité de la frontière franco-espagnole au lieu dit “Belagoa". Ici commence un périple de six jours au cours duquel sont parcourus près de 140 km. Les premières étapes sont les villages d’Isaba et d’Ustarroz, les troupeaux traversent ensuite les sierras sauvages du sud jusqu'au col de las Coronas.
Le cortège passe ensuite par la Sierra de Illon, puis par la Sierra de Leyre avant d’atteindre les rives du grand lac de Yesa. Ce lac constitue une étape importante, les animaux peuvent s’y abreuver généreusement avant d’affronter les terres desséchées de la Ribera. La transhumance se poursuit par les villages de Javier, Sangüesa, Torre de Peha, San Isidro del Pinar, et Figarol. L’entrée dans les Bardenas Reales a lieu le dimanche le plus proche du 18 septembre au lieu-dit "El Paso" situé à l’extrême nord de la Bardena Blanca ; il s’agit là d’un événement régional de grande importance qui se déroule sous le regard de bon nombre de spectateurs et sous la surveillance discrète de la Guardia Civil.
Le tracé de la cañada Real de los Roncaleses longe ensuite la frontière Navarre/Aragon et prend fin au sud de la Bardena Negra.
Moins réputée, la cañada de Salazar emprunte pourtant un itinéraire très similaire. Cette voie de transhumance débute dans la Sierra de Abodi puis s'oriente vers la Ribera en passant par Ochagavia, Remendia, Lumbier, Aibar, Gallipienzo, Ujué et Murillo El Fruto. L'entrée dans les Bardenas Reales se fait également par el Paso au matin du dimanche le plus proche du 18 septembre de chaque année (date précise mentionnée dans l’onglet « Flash infos » du présent site internet).
La transhumance offre aux bergers un confort très rudimentaire, les repas sont brefs et sommaires, les longues journées sont rythmées par le pas lent du bétail, et les nuits se passent à la belle étoile auprès d’un feu de camp. Pour rompre l'ennui et faciliter le travail, il est fréquent que quelques bergers s’associent le temps d’une transhumance afin de conduire leurs troupeaux en commun.
Les cañadas sont bien moins fréquentées qu’autrefois. Certaines portions, par manque d'entretien, ont peu à peu été grignotées par les cultures et les bornes qui en délimitaient le tracé se trouvent aujourd’hui en plein champ. Ainsi, au cours de leur traversée, les bergers sont parfois confrontés à la colère des agriculteurs qui se plaignent de l’intrusion du bétail sur leurs terres.
Quelques portions sont parfois transformées en routes départementales ; dans ce cas, la loi autorise les bergers à utiliser la moitié de la largeur des routes pour conduire leurs troupeaux.
Les Bardenas Reales abritent une douzaine de bergeries, environ quatre vingt enclos à bétail ainsi que de nombreuses petites maisonnettes pastorales ou agricoles (près de 300) dont beaucoup sont en ruine. De nos jours, les bergeries comprennent un vaste enclos et une maisonnette bien plus confortable qu’autrefois ; paradoxalement, les bergers ne passent plus leurs nuits dans le désert mais vont dormir dans les villages voisins.
Le séjour hivernal dure sept mois. Durant ce temps, alors que les alpages pyrénéens se couvrent de neige, les grands espaces des Bardenas Reales offrent au bétail des conditions de pâture plus clémentes. Bien sûr les herbages du désert ne sont pas luxuriants, mais les moutons et les chèvres savent s’en accommoder. Les pénuries d’eau, qui sont liées au climat local, peuvent par contre provoquer quelques problèmes. Pour y remédier, des cuvettes de tailles variables ont été creusées ici et là afin de recueillir les eaux de pluie, et des abreuvoirs en béton en récemment été installés près des bergeries les plus importantes.
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