Explorer un espace naturel aussi vaste que celui des Bardenas conduit inévitablement à faire des découvertes plus inattendues les unes que les autres.
Ce jour-là, comme bien souvent, je baroudais en 4x4 avec José Maria en divers lieux du territoire Bardenero. Nous avions passé la majeure partie de l'après-midi dans l'extrême nord de la Bardena Negra, et de temps à autre nous mettions pied à terre pour poursuivre nos explorations là où notre véhicule ne pouvait nous conduire.
Il commençait à se faire tard et de sombres nuages s'imposaient peu à peu dans le ciel, laissant présager quelques averses à venir. Il nous restait encore deux bonnes heures de jour avant que la nuit ne tombe, nous décidâmes donc de marcher encore un peu à proximité du secteur de la Nemesia.
En ce lieu il n'y a ni chemin ni sentier, d'ailleurs personne n'aurait l'idée de venir ici, … pour y faire quoi ?
La marche est tranquille, nous passons entre deux collines aux sommets arrondis puis faisons face à la petite montagne de Tripa Azul distante d'un kilomètre et demi. Nous n'irons pas plus loin, nous venons d'atteindre notre but, car oui, nous ne sommes pas venus ici par pur hasard.
A nos pieds se trouve une dizaine de petits gouffres, petits par leurs diamètres mais certains sont toutefois profonds de plus de sept mètres et représentent de ce fait un réel danger pour un randonneur distrait.
Notre attention se porte sur un seul de ces gouffres, car celui-ci abrite une curiosité probablement unique dans l'ensemble des zones steppiques des Bardenas : Des fougères.
Les fougères sont des plantes de sous-bois qui aiment tout particulièrement les lieux ombragés, frais et humides, il est donc très surprenant d'en trouver ici dans l'un des endroits les plus arides des Bardenas où seuls la steppe et le maquis s'imposent dans le paysage.
Sans attendre José Maria entreprend une délicate descente vers le fond du gouffre, je le rejoins peu après en manquant à plusieurs reprises de me gameller tant les parois sont friables.
En bas nous constatons qu'en ce lieu s'est constitué un véritable petit écosystème presque entièrement coupé du monde extérieur. Ce gouffre procure ombrage et « fraicheur », ainsi qu'une appréciable et vitale accumulation d'humidité.
José Maria et moi avons l'impression d'être en présence d'une sorte de « monde perdu ». Nous dénombrons cinq pieds de fougères dont le plus imposant fait un bon mètre cinquante de haut. Tout autour le sol est tapissé d'herbes sur une faible superficie, et sous les fougères au ras du sol s'est développé un tapis de plantes aux petites feuilles vertes et lobées.
Une question s'impose immédiatement dans mon esprit, comment ces fougères sont-elles arrivées ici si loin de leur environnement naturel ?
|
Le vent, probablement, pourrait avoir assuré le transport des spores (les fougères ne produisent pas de graines) sur de grandes distances, et le hasard des lieux de dépôt pourrait avoir favorisé ou non la germination.
N'étant pas spécialiste en botanique je ne peux faire que des suppositions.
En observant attentivement autour de nous nous découvrons quelques escargots dont la présence au fond de ce gouffre ne fait que confirmer la singularité du site. Les gastéropodes ont les mêmes besoins que les fougères, de la fraicheur et de l'humidité, et ils semblent vivre ici comme dans un jardin d'éden. |
En ce début de printemps ce fragile écosystème semble se suffire à lui-même tant que l'humidité y persiste, mais selon toute logique la saison estivale devrait lui être fatale, … sauf que ce n'est pas le cas puisque d'après José Maria fougères et escargots sont présents ici depuis plusieurs années.
La nature n'en finit pas de me surprendre, la vie trouve toujours un moyen de s'encrer même dans des lieux à priori inadaptés, formant ainsi de précieux et fragiles petits écosystèmes.
Texte et photographies : Frédéric Moncoqut. |
|