C’était un mois d’avril radieux, un ciel bleu sans le moindre nuage, une température printanière des plus agréable, et une irrésistible envie de barouder ici et là.
En cette belle matinée je roulais tranquillement à bord de mon véhicule tout-terrain sur l’une des rares pistes carrossables du nord-ouest de la Blanca. Ici, entre la Estroza et le Cornialto, tout est calme, silencieux et sauvage.
La zone est totalement ignorée du tourisme et les randonneurs y sont rares.
Après avoir passé les ruines d’une vieille cabane je bifurque à gauche, je poursuis par cette piste secondaire puis après un ultime virage j’emprunte sur ma droite un chemin de terre à peine visible.
Ce chemin s’avère totalement défoncé, son état de délabrement est tel qu’il ne me permet pas de parcourir plus de 300 mètres. Face à moi une modeste ravine me barre la route, je pourrais très bien tenter de la franchir avec mon 4x4 mais je décide d’être raisonnable, il serait bien bête de se retrouver bloquer dans ce lieu isolé. Je poursuis donc à pied.
La marche est facile, je dirais même agréable. Des petites montées et des petites descentes ici et là, quelques reliefs à contourner, et me voila arrivé devant l’objectif de ma promenade.
Je me trouve devant un modeste monticule marneux au sommet tabulaire et aux parois verticales. Tout autour le terrain est dégagé sur plusieurs dizaines de mètres.
Je me dois de préciser que ma venue ici n’est pas due au hasard, j’avais repéré l’endroit quelques jours auparavant depuis les hauteurs de la Estroza et cela m’avait suffisamment intrigué pour que je prenne la décision d’aller voir ça de plus près.
Ci-dessus : La Blanca Alta vue depuis la Estroza.
Ci-dessous : Le monticule.
De par sa situation et sa morphologie ce relief est assez atypique, 23 mètres de long pour seulement 10 mètres sur sa partie la plus large, un périmètre d’environ 60 mètres, une hauteur approximative de 8 mètres, et un sommet totalement plat recouvert d’herbes sèches.
Mais ce ne sont pas ces détails géomorphologiques qui retiennent le plus mon attention, non, ce qui attise ma curiosité ce sont deux cavités, l’une naturelle et l’autre de toute évidence artificielle.
Commençons par la première, il s’agit d’une haute et large ouverture qui perce de part en part le monticule. Cette trouée naturelle est aussi belle qu’impressionnante, et j’imagine bien qu’elle pourrait offrir un abri très appréciable tant en période de canicule qu’en période de pluie.
Et puisque nous parlons d’abri, attardons-nous maintenant sur la seconde cavité.
Son ouverture est rectangulaire. De mémoire je dirais qu’elle mesure un peu plus de 4 mètres de large pour environ 1 mètre 25 de haut. La profondeur est de plus ou moins 2 mètres 50.
Habituellement j’ai toujours un mètre ruban dans mon véhicule, mais ce jour-là je l’avais oublié, … oubli fort regrettable d’où le manque de précision des dimensions que je vous donne.
L’espace intérieur forme un parallélépipède rectangle presque parfait et cela ne laisse aucune ambiguïté sur sa formation, cette cavité a été creusée par l’homme.
Après ce constat plusieurs questions se posent : Qui a creusé cette grotte ? Pour quelle raison ? Et de quand cela date-t-il ?
Mes recherches ultérieures ne m’apprendront rien de particulier, il faudra donc se contenter de mes constatations faites sur place et nous pourrons en tirer quelques spéculations qui, à bien y regarder, ne doivent pas être bien éloignées de la vérité.
Pénétrer dans cette cavité est aisé bien que peu pratique, je suis obligé de m’accroupir tant le plafond est bas.
Sol et plafond sont parfaitement droits, le mur latéral gauche et celui du fond sont verticaux, et le mur à ma droite forme une courbe harmonieuse vers le plafond.
Il est fort à parier qu’à l’origine le sol, les parois et le plafond devaient être plats et lisses, mais le temps a fait son œuvre, des plaques de marne se sont détachées ici et là, les surfaces s’effritent, le tout tombe en poussière et s’accumule au sol.
Par terre se trouve une bonne épaisseur de poussière de marne. Cette poussière est issue de l’érosion des parois de la cavité, et il est probable qu’une certaine quantité vienne de l’extérieur.
Le site semble vieux de quelques dizaines d’années, guère plus.
De nombreux indices me confirment que cette cavité a bien servi d’abri : En étant à l’intérieur je m’y sens immédiatement protégé des éléments extérieurs, la pluie, le vent, l’ensoleillement et la chaleur ne posent plus aucun problème.
Bien sûr la bassesse du plafond n’autorise pas un séjour à long terme, ce serait trop inconfortable, mais sur de courtes périodes l’inconfort est tout à fait acceptable pour peu qu’il y ait quelques petits aménagements intérieurs.
Et justement de menus détails me confirment qu’il y a bien eu des aménagements.
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Sur le mur de fond et sur la paroi de droite je trouve quelques trous circulaires de 2 à 3 cm dont un de plus de 5 cm de diamètre. Du temps où cette cavité était occupée des bouts de bois étaient incérés dans ces trous, j’en veux pour preuve que certains trous de la paroi de gauche ont conservé des morceaux de ces bouts de bois. |
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Quelle en était l’utilité ? Je l’ignore, peut-être étaient-ils là pour supporter une toile, un panneau de joncs tresses (comme ceux utilisés autrefois pour isoler le toit des cabanes), ou je ne sais quels ustensiles.
Le mur de gauche laisse deux autres vestiges intéressants : Des niches.
Deux niches murales, l'une située à l’entrée de la cavité, proche du sol et de forme arrondie, et la seconde placée vers le fond à mi-hauteur.
Cette seconde niche est sans conteste la plus belle et la mieux conservée : Semi-sphérique à base plate, cette trouée dans la paroi devait servir à y déposer des objets dont on ignore aujourd’hui la nature.
Ci-dessus : Les flèches rouges indiquent les niches.
Les cercles montrent les trous dans lesquels se trouvent des bouts de bois.
Nous pouvons supposer qu’une occupation sommairement confortable de cette cavité nécessita l’usage de petits mobiliers, genre table basse, coffre de rangement ou étagères. Ce ne sont là que de pures spéculations sans qu’aucun indice ne m’ait conduit à ce raisonnement, mais si je devais moi-même séjourner périodiquement en ce lieu c’est bien ce je ferais : Un aménagement rudimentaire afin d’améliorer mon confort.
Après avoir fait le tour du propriétaire une question s’impose : Qui a bien pu creuser cet abri dans un lieu aussi isolé ?
Il n’existe que deux types de personnages qui puissent fréquenter ce coin perdu suffisamment longtemps pour justifier la création d’un abri : Les bergers et les agriculteurs.
Cette cavité pouvait occasionnellement servir d’abri temporaire durant les heures chaudes de la journée, ou pour se protéger du vent et de la pluie. Compte tenu de l’éloignement important des villages il est même probable que ces hommes aient passé quelques nuits dans cet abri.
Vue depuis l'intérieur de l'abri.
Mon esprit vagabonde, allant d’une réflexion à une autre, faisant émerger quelques idées et suppositions, voire même des quasi-certitudes. La grande cavité, par exemple, celle qui est d'origine naturelle, aurait très bien pu servir d'abri pour un troupeau d'une dizaine de brebis.
Autre hypothèse à laquelle j'ai plus tendance à adhérer, j'ai remarqué qu'à proximité du site se trouve un champ qui fut cultivé à partir des années 1970 puis abandonné en 2007. Aujourd’hui plus rien ne laisse imaginer son passé agricole, la steppe s’est emparée des lieux, la nature a repris ses droits.
J’ai une pensée pour son ancien propriétaire, probablement décédé et sans successeur pour poursuivre le dur labeur de la terre en ce lieu paumé, et je me dis qu’il est bien possible que ce soit lui, l’agriculteur si courageux, qui a creusé et utilisé cet abri mystérieux.
Quand je vous dis que les Bardenas regorgent d’histoires oubliées et de lieux mystérieux.
Texte et photographies : Frédéric Moncoqut. |
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