En cette belle et fraiche matinée de décembre je me trouvais dans le secteur de Mainete, au nord-ouest du mont Fraile Alto.
J’explorais cet endroit isolé et méconnu depuis un peu plus d’une heure lorsque je reçu un appel de José Maria.
La liaison téléphonique était plutôt mauvaise en raison du lieu encaissé dans lequel je me trouvais, mais je compris malgré tout qu’il m’invitait à le rejoindre dans la Blanca afin de me faire découvrir une ancienne voie de communication dont j’ignorais l’existence.
Rendez-vous pris pour 15h00, ce qui me laissait largement le temps de terminer ma randonnée dans le sud Negra, puis de revenir à Valtierra pour manger avant de rejoindre José Maria.
14h50, j’arrive près de la bergerie del Truco, lieu de notre rendez-vous.
José-Maria est déjà là. Après une poignée de main nous discutons de choses et d’autres puis il m’explique dans les grandes lignes l’objectif de l’excursion qu’il me propose.
J’acquiesce, le programme me convient, nous fermons nos véhicules respectifs à clé et partons aussitôt.
Dans un premier temps nous nous dirigeons à pied vers l’est, puis après avoir passé un petit plan d’eau nous nous orientons vers le nord-est, vers un secteur nommé Cuesta del Canto.
Nous pénétrons dans un petit vallon cerné de part et d’autre par des reliefs aux versants encombrés de pierres de toutes tailles. Le fond du vallon est large et plat, la progression est facile et rapide.
José Maria m’explique que ses investigations lui ont appris que ce vallon est une ancienne voie de communication qui permettait autrefois de passer du nord des Bardenas vers le sud. Cette voie (que nous nommerons « voie del Canto ») n’est pas clairement définie, elle emprunte simplement le vallon sans aucun autre repère que celui-ci, tout au moins c’est ce que l’on peut constater aujourd’hui.
En regardant une carte des lieux je constate que la voie del Canto court parallèlement à la piste qui mène à el Paso depuis le polygone de tir.
Il est difficile de dater cette antique voie, mais ce que nous pouvons affirmer c’est qu’elle est antérieure au milieu du XXe siècle car depuis la création de la piste d’el Paso elle est devenue obsolète, donc totalement abandonnée et oubliée.
Nous pouvons imaginer, sans risque de se tromper, qu’elle était empruntée par des voyageurs à pied ou à cheval, par des marchands, des contrebandiers ou tout autre catégorie de personnages itinérants. Peut-être même était-elle utilisée durant le moyen-âge car les livres anciens sont formels, de nombreux convois de marchandises transitaient fréquemment par les Bardenas malgré le danger que cela représentait. Le trajet était plus court que de contourner ce no man’s land.
Tout au long de notre marche nous découvrons de nombreux morceaux de céramiques éparpillés un peu partout sur le sol : fragments de pots, de plats et de vases, en ce lieu les traces d’une ancienne présence humaine abondent.
Nous poursuivons notre marche tranquille puis, plus loin, José Maria m’invite à entamer l’ascension de la colline se trouvant sur notre gauche.
Le versant est très rocailleux, il nous faut improviser un itinéraire entre chaque bloc rocheux mais malgré cela la montée s’avère plutôt facile. Au sommet je constate que ce relief est assez étroit par rapport à sa longueur, 20 à 30 mètres de large pour plus de 200 mètres de long. Nous marchons sans difficulté sur ce sommet globalement assez plat puis, rapidement, nous découvrons les vestiges de deux abris faits de pierres sèches.
Ces abris font corps avec l’environnement, il faut être à moins d’une quinzaine de mètres pour les remarquer. L’un se situe sur la bordure nord-ouest du sommet de la colline, il fait face à la vaste Blanca Alta avec le Cornialto et la Estroza en toile de fond, et l’autre en bordure sud-est offre une excellente vue sur le vallon del Canto.
Ces abris sont très rudimentaires, de petites dimensions et constitués de pierres plates non taillées ; j’en fait le tour, j’observe attentivement tout en essayant de comprendre : Quelle pouvait être leur utilité ? Et pourquoi ont-ils été construits sur cette hauteur ?
Le premier abri est le plus spacieux des deux, bien qu’à l’origine il était certainement impossible d’y tenir debout.
Il manque aujourd’hui sa partie supérieure mais la manière dont est bâti le mur extérieur, en cercle, laisse penser qu’il avait la forme d’un igloo au toit légèrement aplati. Le diamètre intérieur de cet abri est d’environ 2m30, le mur circulaire mesure plus ou moins 60 cm d’épaisseur, et j’estime la hauteur intérieure à moins d’1m50.
L'entrée, comme nous pouvons le voir sur les photographies, est basse et étroite.
Notons qu’au cœur de cette construction se trouve un pilier central fait de pierres empilées destiné à supporter le poids du toit.
Bien entendu cet abri n’était pas un habitat en tant que tel, mais seulement un lieu où il était possible de se protéger du soleil, de la pluie, du vent ou du froid, et probablement aussi un lieu où dormir durant quelques nuits, mais rien de plus.
Nous estimons qu’il pouvait accueillir jusqu’à trois hommes, mais toutefois dans des conditions plutôt très inconfortables.
Le second abri est encore plus exigu, il n’était fait que pour un seul homme et on ne pouvait y pénétrer qu’en rampant. D’ailleurs, tout individu se trouvant à l’intérieur ne pouvait y demeurer qu’en position allongée.
Il semble évident que ces abris n’étaient pas destinés à des agriculteurs ou des bergers, le lieu étant trop éloigné des champs et des pâtures, et puis il n’aurait pas été judicieux de bâtir un abri au sommet d’un relief exposé en plein vent. Par contre la disposition de l’abri le plus petit laisse clairement penser qu’il s’agissait d’un point de gué discret et particulièrement efficace permettant d’observer toute personne ou tout convoi transitant par la voie del Canto.
L’observateur n’étant probablement pas seul, ses comparses pouvaient prendre refuge dans le second abri.
Le sommet de ce relief serait-il le repère de quelques bandits de grand chemin ?
Tout le laisse penser.
Après avoir échangé nos points de vue José-Maria et moi gardons le silence, nos pensées vagabondent. Nous imaginons des caravanes de mulets transportant diverses marchandises venant d’Aragon ou de France et se dirigeant vers le sud de la Navarre en empruntant ce vallon. Nous imaginons des bandits les prendre d’assaut, semant la panique et la confusion parmi les muletiers et leurs bêtes, … les nombreux morceaux de céramiques qui jonchent le fond du vallon sont peut-être les témoins de ces attaques. Allez savoir …
Texte : Frédéric Moncoqut.
Photographies : Frédéric Moncoqut et José Maria Samanes |
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