Un p’tit gars du nord dans les Bardenas.
Simon Handtschoewercker est un petit gars du nord de la France, et bien que vivant à seulement quelques kilomètres de la frontière belge, il se sent irrésistiblement attiré par des contrées plus lointaines et plus méridionales.
L’Espagne occupe une place particulière dans son cœur, il en apprécie la culture, l’histoire, l’architecture, et ses superbes paysages.
Les Bardenas ? Une première et modeste approche en 2012 lui laissa une impression très frustrante de visite bâclée, et donc incomplète. Très rapidement, il manifesta le désir ardant d’en découvrir plus sur cet étrange désert espagnol.
En découvrir plus,… oui, mais seul cela s’avère très compliqué, alors il sollicita l’aide de l’un des plus fins connaisseurs des lieux, Fred Moncoqut (webmaster du présent site internet).
Après de nombreux échanges d’emails, Fred accepta de s’improviser guide ; au programme, une virée 4x4 dans les Bardenas planifiée pour janvier 2014.
Le séjour se déroula sous les meilleurs auspices et cela, malgré une météo quelque peu capricieuse. Fred Moncoqut baroude dans les Bardenas et en divers lieux d’Aragon depuis plus de 20 ans, et comme convenu, il ne changea rien à ses habitudes : à savoir confort minimum, nuits passées à la belle étoile, sans tente, repas auprès d’un feu de camp, hygiène corporelle digne de celle d’un cowboy solitaire (mais néanmoins satisfaisante), etc.
Fred et Simon visitèrent ainsi durant une semaine les lieux les plus réputés des Bardenas, mais aussi les sites les plus reculés et les plus secrets. Bref, rien à voir avec une banale visite touristique, cette virée 4x4 c’était l’aventure et l’évasion !
Simon en eut plein les yeux, ce fut pour lui une aventure unique, un dépaysement extraordinaire en totale rupture avec ce qu’il vit chez lui, dans le nord de la France.
La visite des Bardenas terminée, Fred décida de consacrer les deux dernières journées à une rapide traversée du cœur de la région aragonaise. Au programme, un bivouac nocturne dans le désert des Monegros, visite du village d’Alquezar, nouveau bivouac près des gorges de la Choca en Sierra de Guara, passage par Huesca puis par les superbes Mallos de Riglos, et enfin dernier bivouac en bordure du grand lac pyrénéen de Yesa.
Simon est revenu chez lui émerveillé, la tête pleine de souvenirs. Pour preuve, son témoignage qu’il vient d’écrire et de mettre en ligne sur internet. Ce texte est fort bien écrit, Simon fait preuve d'une profonde réflexion, une réflexion qui le conduit tout naturellement vers la méditation et la contemplation de ce site naturel exceptionnel que sont les Bardenas.
Contemplatif, tout comme Fred, ses pensées vagabondent ici et là, calmement, rêveusement, … nous sommes bien loin des préoccupations très terre-à-terre des touristes et des randonneurs du dimanche, et c'est tant mieux ! Simon a donc tout compris, il a ouvert ses sens à l’environnement naturel dans lequel il se trouvait, sa vision des Bardenas a radicalement changé, sa perception des choses est devenue bien plus sensible et aiguisée qu’auparavant.
C'est ainsi que Fred Moncoqut vit les Bardenas et l'Aragon, bienvenue dans son univers Simon !
- Contemplation -
Texte de Simon Handtschoewercker
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« Ce qui est important, c’est de s’effacer. Tu dois y arriver pour t’imprégner des choses autour de toi et vivre pleinement l’instant. C’est ce que je fais chaque fois que je viens ici depuis 22 ans. Essaie à ton tour… Ne fais plus aucun bruit, plus aucun mouvement et mets tous tes sens en éveil… »
Fred m’apparaît comme un prophète porteur d’un message sacré. Dans les secondes qui suivent, je m’exécute. Je me fige et concentre mon regard et ma pensée vers l’horizon. |
Ci-dessus, Simon et Fred contemplent le soleil couchant depuis un sommet de la Bardena Negra.
Ci-dessous, la Bardena Blanca.
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Dans le désert des Bardenas, le silence règne.
J’ai 26 ans au moment où j’écris ces lignes. C’est le temps qu’il m’a fallu pour découvrir de quoi il s’agit. Le silence…
Pas un brin de vent, pas un battement d’ailes d’oiseau ni d’échos d’activité humaine dans le lointain.
Le silence.
Ce fameux « rien » que recherchent les ermites.
S’il m’a fallu attendre un quart de siècle pour le trouver, c’est parce qu’il a disparu de nos contrées. A moins que cela ne soit tout simplement nous qui l’ayons chassé de nos vies. Nous n’en voulons pas. Nous ne l’aimons pas parce qu’il nous renvoie à notre solitude et que cette dernière nous angoisse. Etre seul, à écouter nombre de nos congénères, est synonyme d’ennui, de tristesse et même pire : de vide. Qu’est-ce-que le vide ? Et pourquoi nous fait-il tant peur ? Et si, au contraire, le vide et le silence étaient essentiels pour prendre conscience de la beauté du monde ?
A bien y réfléchir, la seule expérience de silence que j’ai connue jusqu’à ce jour, c’est dans ma chambre que je l’ai vécue, à l’occasion de ces soirées solitaires où je me laisse embarquer vers des horizons inconnus au rythme de mes lectures.
Ici, le silence est étendu à une zone bien plus vaste que les 15 mètres carrés de ma chambre. Il est question de 42 000 hectares d’espaces naturels protégés sous l’appellation de Réserve de la Biosphère.
Nous nous trouvons dans la partie des Bardenas appelée « la Blanca » en raison de l’argile de couleur claire qui compose ses paysages : une plaine longue d’une vingtaine de kilomètres, striée de ravins et entourée de falaises et de collines tabulaires (des « inselbergs » dans le jargon des géomorphologues).
Il y a des millions d’années, l’endroit était un golfe marin. Puis, quand les Pyrénées ont émergé de l’océan Atlantique, il n’est resté dudit golfe qu’une zone marécageuse isolée dans les terres qui s’est progressivement asséchée et transformée en désert. De nos jours, c’est une curiosité géologique pour les spécialistes et une merveille de la nature pour les amateurs de paysages.
Des fois, j’aime me rappeler qu’il y a 700 ans, ce territoire était aux mains des Maures et qu’il s’appelait Al Andalus. « Tu imagines ? Du nord au sud, le pays était musulman. C’était une autre Espagne… »
Instantanément, des visions me viennent… Je repense aux lieux que j’ai visités lors de mes précédents voyages. Je revois la ville de Tolède, perchée sur son rocher, ou les musulmans, les juifs et les chrétiens ont vécu en harmonie jusqu’à la Reconquête organisée par ces derniers. Je me revois déambuler dans les jardins orientaux du palais de l’Alhambra à Grenade, dans la Grande Mosquée de Cordoue ou dans de petits villages ayant conservé leur apparence mauresque.
Bien avant que les chrétiens ne s’imposent, on érigeait des minarets au sud des Pyrénées. On buvait du thé à la menthe, on vivait dans de petites maisons taillées à même la roche qu’on blanchissait à la chaux et qu’on ornait de patios fleuris.
Comment puis-je être nostalgique d’un monde que je n’ai pas connu ?
Fred me tire de ma rêverie orientale et pointe du doigt un mont solitaire au loin.
« Ce soir, nous dormirons là-bas. On ne va plus tarder à se mettre en route. On va s’arrêter dans une bergerie où on pourra prendre du bois pour faire un feu de camp. En principe, il en reste toujours… »
Charmant programme, Fred.
Nous nous levons et observons le paysage autour de nous. Nous pourrions aussi bien être sur un autre continent, ou sur une autre planète qu’en Navarre…
Ce lieu est unique.
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Fred Moncoqut, avec en arrière plan les imposantes falaises du Rallon. |
Je scrute ces imposantes et énigmatiques falaises : quel âge ont-elles ? A combien de couchers de soleils ont-elles pu assister ? Combien d’hommes nous ont précédés en ce même endroit où nous nous sommes assis en se posant les mêmes questions ? Combien nous suivront ? A quoi ressemblera cette contrée dans 1 million d’années ?
Je n’ai pas les réponses à ces questions et ne les aurai jamais. Face à ce décor et à l’immensité du ciel qui l’entoure, je réalise l’insignifiance de mon être et le caractère vain de mes questions.
Un jour, j’ai lu un proverbe qui disait : « nous ne vivons que pour découvrir la beauté, tout le reste n’est qu’attente. »
Je suis tout à fait d’accord avec cette conception de la vie. D’ailleurs, c’est cette même façon de penser qui m’a mené ici.
Tel un croyant qui se prosterne devant son idole, je m’incline devant ces paysages sublimes.
La nature est mon dieu.
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Bivouac nocturne en marge des Bardenas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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